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Agro-écologie au Lycée Agricole d’Ahun : un retour aux sources

Actualité du 29 mai 2015

Il a bien changé, notre cher Lycée Defumade de 1970 : son immense jardin, ses troupeaux de la Cassière et du Chaussadis, ses bâtiments d’avant-guerre...La nouvelle équipe de direction embarque la ferme et ses acteurs, les élèves et le corps enseignant, dans une démarche agro-écologique : évolution ou révolution ?
Rencontre avec Eric Cazassus, directeur de l’EPLEFPA et Laurent Rougier, directeur de l’exploitation. Un Projet ambitieux et enthousiasmant !



Denis Nicolas : Il y a une trentaine d’années encore, le simple mot "environnement" était quasi-imprononçable dans notre milieu agricole. Comment en est-on arrivé aujourd’hui à l’agro-écologie ?

Eric Cazassus : Comme vous le savez, la société a changé ! Ses besoins alimentaires, ses exigences vis-à-vis de l’agriculture aussi. En Europe, en France, nous sommes passés du produire pour nourrir, à une maîtrise de cette production (les quotas, les jachères, les prix...), puis enfin à une logique de produire mieux et consommer meilleur. Notre défi aujourd’hui est un défi agricole dans un défi plus vaste de société.
Nous devons nous y adapter ! D’ailleurs, nous ne franchissons pas brutalement toutes ces étapes : nos prédécesseurs ont dû s’adapter aux lois sur l’eau, les nitrates, etc. Déjà dans les années 90 ! Je dois dire pourtant que nous, Français, sommes rarement en avance d’une étape sur ces nouveaux raisonnements.

DN : Oui, mais toutes ces chapelles, agriculture durable, agriculture de conservation, agriculture environnementale, etc. Il y aurait un répertoire d’une vingtaine d’appellations, on s’y perd un peu !

Laurent Rougier : Quels que ce soient les mots, le principe est de revenir aux fondamentaux de l’agriculture : comprendre la relation intime sol-éléments-climat-eau-plante-animal. Modifier nos vieux automatismes, notre façon d’aborder chaque question, en phytotechnie ou en zootechnie. Entrer dans une réflexion "préventive" au lieu de penser d’abord "recettes chimiques universelles" !
Et admettre que c’est un raisonnement global d’exploitation...

DN : Je repense à quelques visionnaires de l’INRA en 1970 qui parlaient déjà de "lutte intégrée" !
EC : Mais nous n’inventons rien : d’autres ont réfléchi et trouvé des méthodes qui leur convenaient ! On s’en inspire et on s’adapte.

DN : Ce raisonnement différent, qui n’est plus dans notre logique formatée ; au début, ça doit être frustrant : on pense et on travaille "sans garde fous", non ? Comment conduire ces changements ?

LR : Justement, c’est pour cela que nous cherchons à devenir de meilleurs experts en agronomie, phytotechnie, zootechnie surtout, compte tenu de notre vocation élevage, ici à Ahun.
Et l’on n’agit que "par petites touches"...Ne surtout pas imposer, ni "s’opposer" : agir sur des constats d’améliorations simples, concrètes ...

EC : Il est possible d’illustrer cette méthode par un exemple : l’achat de niches à veaux. En effet, nous étions touchés par une surmortalité chez les veaux Prim’ Holstein. Après analyse, les diarrhées mortelles avaient pour origine un milieu à fort microbisme. La proposition a été faite, à titre expérimental, de loger ces veaux dans cinq niches mobiles éloignant de fait l’animal du microbisme. Le but recherché étant non plus de lutter en curatif par des produits vétérinaires mais de rétablir un équilibre entre le microbisme/immunité/milieu. Peu de temps après, le résultat est là ! Plus de mortalité et baisse de la consommation de la chimie vétérinaire. Mais cette logique nous poussait à aller plus loin en vaccinant les mères avant vêlage afin de renforcer l’immunité des veaux. En quelque sorte lutter en préventif à long terme plutôt qu’en curatif à court terme !

DN : Les différents acteurs sur l’exploitation vous suivent ?...
 
EC : C’est très clair : rien ne se fait, ni ne se fera, sans l’adhésion d’abord des hommes ! Sur l’exploitation comme dans les autres registres de la vie de l’établissement. C’est l’affaire d’une équipe de direction et de terrain convaincue, mobilisée, multidisciplinaire. Les hommes comprennent que l’on applique une expertise, laquelle s’améliore encore, puis donne, grâce à leur propre travail, les premiers résultats. Utiles dans leur quotidien : par exemple sur le bien-être et la santé de leurs animaux, sur la simplification de leurs propres tâches...
On peut alors poursuivre sur des projets plus ambitieux. L’adhésion vient en premier lieu de solutions simples pour résoudre des problèmes réputés "insurmontables" dans la logique des "recettes toutes faites" !

DN : Vous êtes convaincants et convaincus d’être dans la bonne direction ? C’est très audacieux de vouloir "cultiver la connaissance" !?

EC : Pas de triomphalisme, ni donneurs de leçons, pas d’exemple unique ! Nos solutions s’appliquent "ici et maintenant". Nous héritons des connaissances et résultats des autres : sur notre ferme, nos prédécesseurs ont commencé le travail depuis une dizaine d’années.
Et d’autres viendront après nous, prendre le relais : c’est une action sur le long terme, cercle vertueux qui s’enrichira chaque année. Il faut se montrer tenaces, cohérents, déterminés ! Nous avons devant nous plusieurs décennies de progrès à venir. 

DN : Et l’économique dans tout ça ?

LR : Même dans un Lycée Agricole, les lois économiques s’appliquent ! Quand nous parlions tout à l’heure de raisonnement global ; nous y sommes évidemment soumis : ces "expériences nouvelles" ne sont pas "hasardeuses". Autant techniques, environnementales, qu’humaines ET économiques ! Et même, je dirais que la notion de filières aval gouverne tout ! On peut regretter, si on se compare une fois encore à nos voisins allemands, que notre tissu agro-alimentaire soit plus récent, et moins souple pour héberger et transformer des productions différenciées.

DN : L’Europe, le Ministère vont-ils imposer des contraintes venues "d’en haut" ?
 
EC : L’UE est pragmatique : elle veut des résultats dans l’évolution de son agriculture, en réponse aux besoins et aux défis de la société. Le mode "intensif" a vécu ! Les politiques Français délèguent à la base- et c’est un tournant de notre Histoire- les moyens et méthodes pour avancer dans "la bonne direction" ; d’où d’ailleurs cette éclosion de ce que vous appeliez les "chapelles" : il ne peut y avoir UN modèle universel !

DN : UN modèle unique serait justement la négation de tout ce que vous vivez et expliquez !?

LR : Absolument ! Certes, il existe des challenges universels ; par exemple, la réduction raisonnée des intrants ; mais les solutions seront différentes d’une région à l’autre et même d’une exploitation à l’autre.

EC : Et d’autres objectifs sont carrément très locaux et spécifiques ! Voyez en annexe l’axe N° 5 de notre plan d’action au service du projet : "réduire l’empreinte écologique de l’exploitation », que nous déclinons en trois types d’actions (autonomie en eau, maintien de la biodiversité, réductions des consommations énergétiques). Aussi bien le contenu de chaque thème, que la mise en œuvre, la durée, les indicateurs quanti ou qualitatifs, les points de vigilance, sont représentatifs de notre logique "ici et maintenant" ! Non transposable ailleurs et en l’état ! Nous ne sommes pas "un institut technique" !

DN : Nous sommes dans un établissement d’enseignement agricole : parlez-nous du volet pédagogique du projet ?

EC : Je vous donne deux exemples : "mini-entreprise" et "NDMC" !

DN : ça mérite quelques précisions !

EC : ’’Mini entreprise’’ : sous l’égide d’un de nos enseignants, les élèves de Baccalauréat Professionnel CGEA ont monté une entreprise dont ils sont les seuls maîtres aussi bien dans l’organigramme, le décisionnel que le commercial. Prenant ancrage dans leur futur rôle de chef d’entreprise avant leur installation, ils gèrent déjà leur future entreprise en commercialisant les produits carnés, auprès du personnel et des parents d’élèves, issus des animaux de l’exploitation agricole du lycée. Cette mini-entreprise inscrite dans le réseau national ’’Entreprendre pour apprendre’’ est la première de son genre dans l’enseignement agricole.
’’NDMC’’ : Non Diplômé Mais Compétent
L’alternative proposée après la non obtention du baccalauréat professionnel reste le redoublement ou un parcours en alternance en BPREA sur 2 ans. Les élèves étant déjà en rejet scolaire, cette proposition est la plupart du temps refusée par les jeunes concernés, et si acceptée, elle est la plupart du temps mal vécue. L’établissement est donc confronté au problème d’éviter le décrochage et la sortie du système scolaire sans diplôme. Il cherche pour cela à construire un dispositif qui permettra de résoudre cette difficulté. La reconnaissance des acquis !

Pour répondre aux différents problèmes mentionnés plus haut, l’EPL a eu l’idée de réfléchir à la construction d’un dispositif baptisé « Non Diplômé Mais Compétent ». Son but est de permettre les passerelles entre différentes voies de formation par une reconnaissance d’acquis en interne afin de valider des morceaux de diplôme dans une autre voie de certification dans laquelle la capitalisation est possible.

DN : Vous avez récusé le terme "révolution" et préféré celui "d’évolution". Tout de même, on doit communiquer sur ces nouveaux modes de raisonnement !? On regrette souvent que le monde agricole communique si peu sous ses aspects positifs ; du coup, le vide se remplit, pas forcément de façon bienveillante !

EC : Communiquer, oui, mais sur du concret, des réalisations achevées ou des actions bien démarrées ; pas sur des "concepts abstraits", que ce soit à l’interne qu’à l’extérieur, pour le grand public ! Et puis vous remarquerez, notre établissement agricole n’a jamais autant communiqué dans la presse ! Mais du concret, rien que du concret !

LR : Hausser un fil de clôture, alterner le pâturage mixte ovin/bovin sur une parcelle, constater ainsi la réduction du désherbage chimique sous nos 10 km de fils, diminuer sensiblement le taux de refus, voir progresser la santé des animaux : voilà du concret, qui parle et qui donne envie de partager la connaissance ! L’agro-écologie, c’est simple, mais pas simpliste !

EC : Et aussi, nous comptons bien sur votre Amicale pour relayer et faire savoir, à toutes générations confondues ! Votre nouveau site, auquel nous avons octroyé des moyens conséquents est aussi un canal utile pour le "faire savoir" !

Entretien Denis Nicolas 1967/1970


L’Amicale remercie Eric Cazassus et Laurent Rougier d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Nous leur souhaitons bon courage, ainsi qu’à Nadine Aubrun et à leurs équipes !